Accidents aigus des nouvelles toxicomanies
Consensus d'actualisation SFAR - Médecine d'urgence 1999
P. Mols, N. Dedecker, G. Taton, M. Amuli Itegwa
Service des urgences adultes, CHU Saint-Pierre,
rue Haute 322, B -1000 Bruxelles, Belgique
POINTS ESSENTIELS
. Les amphétamines autorisées légalement sont soumises à prescription. Elles ont pour indication la narcolepsie, les troubles de la concentration et constituent surtout un adjuvant au traitement de l'obésité. Les analogues des amphétamines produits illégalement sont considérés comme des narcotiques de synthèse. Ils sont classés comme drogues dures au même titre que l'héroïne et la cocaïne. Le tableau clinique de l'intoxication aiguë par les analogues de l'amphétamine comprend le plus souvent agitation, hallucinations, paranoïa aiguë, comportement actif répétitif, tachycardie, hypertension artérielle, hyperthermie et transpiration profuse. Il est difficile de différencier cliniquement une intoxication par de la cocaïne d'une intoxication par des analogues des amphétamines. Ces derniers durent cependant beaucoup plus longtemps. L'hyperthermie, les troubles du rythme ventriculaire, l'hémorragie intracérébrale signent la gravité de ces intoxications. Le glucosé hypertonique, la thiamine et le diazépam constituent la base du traitement des manifestations neurologiques. L'hyperthermie fréquente et dangereuse est corrigée par un refroidissement mécanique actif et une hydratation abondante.
Depuis la nuit des temps, l'homme utilise de nombreuses substances pour se tenir en forme, atténuer ses souffrances ou augmenter son plaisir. Parmi celles-ci, on note des produits licites comme le tabac, l'alcool, la caféine et d'autres illicites comme la marijuana, l'héroïne, la cocaïne, les amphétamines etc.
Les drogues illicites auxquelles les services d'urgence et les unités de soins intensifs sont confrontés varient dans le temps et selon les lieux. La consommation de LSD était fréquente dans la jet society dans les années 1950, et le cannabis est couramment fumé ou chiqué en Amérique du Sud. Depuis les années 1980, on assiste, aux États-Unis et en Europe, à une recrudescence de la consommation d'analogues des amphétamines produits illégalement.
QUE SONT LES AMPHÉTAMINES ?
L'amphétamine ou beta-phénylisopropylamine est synthétisée pour la première fois en 1887 et commercialisée en 1932 comme décongestionnant nasal par inhalation sous l'appellation Benzédrine®. Ses propriétés euphorisantes et stimulantes furent rapidement reconnues et largement utilisées durant la Seconde Guerre mondiale.
Contrairement à ce que le nom de famille sous-entend, le produit de base n'est pas l'amphétamine, mais plutôt la phényléthylamine qui par de nombreuses
substitutions au niveau de sa structure aboutit à former le groupe des " analogues de l'amphétamine ". Les indications médicales des amphétamines produites légalement sont le traitement de la narcolepsie, des troubles de l'attention et surtout de l'obésité (tableau I).
Tableau I. Amphétamines et produits analogues licites disponibles en pharmacie en Belgique et en France Nom de marque Principe actif Indications en Belgique en France O = complément au traitement de l'obésité ; A = traitement des troubles de l'attention ; N = traitement de la narcolepsie ; R = retiré du commerce pour toxicité. MODE D'ACTION ET MÉTABOLISME DES AMPHÉTAMINES
Les mécanismes d'action des analogues des amphétamines sont complexes et incomplètement compris. Ils agissent sur le système nerveux central et périphérique et sont responsables de la libération de cathécholamines, en particulier de la dopamine et de la noradrénaline, au niveau des extrémités présynaptiques. La libération de ces substances est croissante et proportionnelle à la dose d'amphétamine utilisée. A forte dose, les amphétamines entraînent également la libération de sérotonine qui se fixe sur les récepteurs localisés au niveau du système nerveux central (SNC).
Les effets aisément identifiables résultent de la stimulation périphérique des récepteurs alpha et bêta adrénergiques (hypertension artérielle, tachycardie.). L'accroissement de la noradrénaline au niveau du locus coeruleus entraîne une anorexie, un état de veille et est responsable de certains comportements locomoteurs. L'augmentation de la dopamine au niveau du SNC, et du neostriatum en particulier, induit les comportements stéréotypés et les autres comportements locomoteurs. Ces effets semblent secondaires à la libération de glutamates et à l'inhibition de neurones effecteurs GABA-ergiques. La sérotonine et la dopamine, libérées au niveau mésolimbique, altèrent la perception et sont à l'origine de comportements psychotiques.
La substitution, au niveau du carbone alpha de la molécule, de phényléthylamine produit des substances comme l'amphétamine ou la métamphétamine qui possèdent des propriétés stimulantes, cardiovasculaires et anorexigènes puissantes. La substitution par de larges groupes, au niveau du carbone alpha de la molécule, de phényléthylamine réduit les propriétés stimulantes et cardio-vasculaires, mais pas anorexigènes, des nouvelles molécules ainsi formées. Si la substitution s'effectue au niveau du noyau phénol de la phényléthylamine, les propriétés hallucinogènes des substances produites sont largement amplifiées.
Les analogues des amphétamines sont des produits lipophiles qui passent rapidement la barrière hémato-méningée. Ils ont un large volume de distribution et un temps de demi-vie qui varie selon la substance entre 8 et 30 heures. La voie d'élimination est essentiellement hépatique et, dans une moindre mesure, rénale.
LES ANALOGUES ILLÉGAUX DÉRIVÉS DE L'AMPHÉTAMINE L'hydrochlorure de métamphétamine Il se présente sous une forme cristalline encore appelée ICE. C'est l'amphétamine la plus répandue. Elle peut être fumée, écrasée et aspirée par voie nasale ou dissoute et injectée dans une veine. Sa consommation est modérée dans les années 50, 60 et 70. À partir des années 80, cette consommation n'est plus marginale et est observée dans les îles d'Hawaii et sur la côte ouest des États-Unis. On la retrouve progressivement dans tous les États-Unis et également en Europe. La déclaration du nombre de patients intoxiqués admis dans les services d'urgence aux États-Unis est, en 1991, de 4 900 et s'élève, en 1994, à 17 400. Pour les mêmes périodes, les décès enregistrés sont respectivement de 151, puis 433 par an. Cette drogue est actuellement plus utilisée que la cocaïne et l'héroïne car elle est facilement synthétisée, coûte le tiers du prix de la cocaïne et a des effets prolongés. Les autres manières de la nommer sont crank, speed et go.
Les effets de la métamphétamine sont superposables à ceux de l'amphétamine en dehors d'effets plus prononcés sur le système nerveux central. En raison de son mode de fabrication, des contaminations substantielles de la drogue par du plomb ou du mercure sont possibles.
Pour contourner la loi, les producteurs de drogues ont dessiné de nouvelles amphétamines dont les formules diffèrent de la métamphétamine tout en essayant de conserver des effets superposables. Effectivement, la loi pour interdire l'usage d'une drogue devait connaître sa structure précise et ses effets néfastes. Des modifications de la loi permettent maintenant d'interdire les analogues de l'amphétamine utilisés comme stimulants et comme hallucinogènes. Le tableau II présente les principales drogues de la famille des amphétamines et leurs effets prédominants.
Tableau II. Principales drogues illicites de la famille des amphétamines Dénomination Effets principaux
(TAM-2) 4-Methyl-2,5-diméthoxy - Serenity
Tranquillity 5 mg : hallucination, stimulation sympathique Peace
Relaxation, perception distordue, agitation, hallucinations (>
éthylamine (2 CB, MFT) 3,4-Méthylène dioxy -N-
Love drug Faibles doses : empathie, euphorie
Fortes doses : agitation, délirium, hallucinations, stress sympathique+++, décès
Facilitateur psychothérapeutique, euphorie, empathie, nausée,
anorexie, anxiété, insomnie, stress sympathique+++
éthylamphétamine (MDEA) Méthcathinone
Le 3,4-méthylène dioxyméthaphétamine (MDMA) Il est synthétisé en 1914, puis redécouvert dans les années 1970. Il s'agit de la drogue la plus consommée par les collégiens dans les soirées d'amusements (raves parties). Les appellations du MDMA sont multiples à savoir : Ecstasy, E, Adam, XTC, M&M et MDM.
Contrairement à l'amphétamine et à la méthamphétamine, le MDMA est un important libérateur de sérotonine. Il en est de même pour les analogues du MDMA que sont le 3,4-méthylène dioxyamphétamine (MDA) et le 3,4-méthylène dioxyéthamphétamine (MDEA).
En quantité modérée, le MDMA accroît le plaisir, renforce la sexualité, et exacerbe l'état de conscience sans en perdre le contrôle. En quantité importante, il apparaît des arythmies, de l'hyperthermie, une rhabdomyolyse, une coagulopathie de consommation et cela peut mener au décès du patient. Pris chroniquement, des dommages irréversibles au niveau des neurones sérotoninergiques ont été montrés chez l'animal avec une chute du taux de l'acide 5-hydroxyindolacétique (5HIAA) dans le liquide céphalorachidien. Cela pourrait expliquer des troubles chroniques de l'humeur, du sommeil, du contrôle des impulsions etc. chez les consommateurs chroniques.
La cathinone et les produits dérivés Le khat est composé de la tige et des feuilles fraîches d'un arbuste, le catha edulis et contient de la benzylkétoamphétamine ou cathinone. Le khat est vendu sur les marchés de l'Afrique de l'Est et c'est la drogue locale la plus consommée. Le kath frais est chiqué ou préparé sous forme d'une décoction pour être ensuite absorbé. Les effets psychoactifs sont un état d'euphorie, de l'anxiété, de l'insomnie et un état d'hyperactivité, et les complications adrénergiques des amphétamines sont rarement observées. Séché, le khat perd ses propriétés car la cathinone est dégradée en cathine (norpseudoéphédrine) peu active. La méthyl-cathinone ou methcathinone ou éphédrone est un produit synthétique dont le profil d'activité est semblable à celui de la méthamphétamine. Il est le produit le plus utilisé dans les pays d'Europe de l'Est et en particulier en Russie.
LES AMPHÉTAMINES TELLES QU'ON LES TROUVE DANS LA RUE
Il est rare dans la rue de trouver de la drogue à l'état pur. Outre les contaminants secondaires à sa production (plomb, mercure), des produits de substitution comme la caféine, le phényl-propanolamine, l'éphédrine, la pseudoéphédrine, la lidocaïne et la phencyclidine sont couramment mélangés à la drogue. Ces " produits actifs " sont par ailleurs très souvent coupés avec de l'amidon, du lactose, du sorbitol, du manitol, du talc, du carbonate de calcium, de la strychnine, de la quinine et des produits fibreux.
EFFETS CLINIQUES DE L'INTOXICATION PAR LES AMPHÉTAMINES
Les manifestations cliniques sont largement en rapport avec la stimulation centrale et périphérique des récepteurs adrénergiques. Ces symptômes et complications sont semblables à ceux provoqués par la cocaïne à la différence près que les effets des amphétamines durent beaucoup plus longtemps, jusqu'à 24 heures.
La tachycardie et l'hypertension sont les signes de toxicité cardiaque les plus communs, mais ce sont les symptômes neurologiques qui constituent le principal motif d'admission dans un service d'urgence.
Le tableau neurologique le plus courant comprend un état d'anxiété, un contact relationnel superficiel, un état d'agressivité et une agitation qui peut être létale. Les hallucinations visuelles, auditives et tactiles et une psychose aiguë sont des signes courants d'intoxication.
La stimulation sympathique est également responsable d'une mydriase réflectique, d'une transpiration profuse et d'une hyperthermie.
Les décès survenant dans le cadre des intoxications par les amphétamines résultent pour la plupart d'arythmies ventriculaires, d'hyperthermie ou d'hémorragies cérébrales.
Les complications secondaires aux amphétamines susceptibles d'être rencontrées sont nombreuses :
- crises convulsives par toxicité directe sur le système nerveux central (SNC) ; - accident vasculaire cérébral par hypertension artérielle et spasme des vaisseaux cérébraux ; - hémorragies intracérébrales ou sous-arachnoïdiennes ; - dissection aortique ; - infarctus aigu du myocarde ; - œdème pulmonaire hémodynamique ; - hypertension artérielle pulmonaire extrêmement grave ; - colite ischémique, pancréatite (vasospasme artériel) ; - complications obstétricales, décès fœtal ; - arythmies cardiaques (extrasystoles et tachycardies auriculaires et ventriculaires ; fibrillation ventriculaire) ; - rhabdomyolyse par accroissement de l'activité musculaire, déshydratation et hyperthermie ; - nécrose tubulo-interstitielle sur rhabdomyolyse ; - coagulopathie de consommation ; -.
La symptomatologie neurologique se caractérise par de l'anxiété, de l'agitation, mais aussi des comportements actifs répétitifs comme se gratter, grincer des dents, répéter les mêmes tâches sans arrêt (nettoyer la maison ou l'auto). Des mouvements choréoathétosiques sont parfois observés et correspondent à une stimulation dopaminergique du striatum. Ces patients intoxiqués peuvent présenter une psychose aiguë. Il s'agit le plus souvent d'un état de schizophrénie avec tendance paranoïde et risque de suicide ou d'homicide.
Le tableau III présente les doses létales des amphétamines les plus fréquemment rencontrées. Le toxicomane, à la recherche d'un plaisir intense, peut abuser des jours voire des semaines entières. Étant donné la tolérance aiguë de l'organisme à la drogue, la quantité absorbée est chaque jour plus importante. Durant ces périodes, le drogué dort très peu et ne mange quasiment pas. Le retour vers un comportement normal prend quelques jours durant lesquels l'intoxiqué dort énormément et mange. Lors des phases d'éveil, il présente un caractère dépressif.
Tableau III. Doses létales des amphétamines les plus fréquemment rencontrées Dénomination Dose létale
3,4 Méthylènedioxy -N-méthamphétamine (MDMA)
3,4 Méthylènedioxy -N-éthylamphétamine (MDEA)
ASSOCIATIONS MÉDICAMENTEUSES ET AMPHÉTAMINES
La combinaison du MDMA avec des inhibiteurs des monoaminéoxydases (IMAO) induisent des crises hypertensives et des décès. La fluoxétine (Prozac®), un inhibiteur sélectif du reuptake de la sérotonine (SSRI), pourrait diminuer la toxicité cérébrale du MDMA. La sertraline, un autre SSRI, réduit cette toxicité. Les antioxydants comme la vitamine C et la cystéine semblent avoir une action protectrice contre les effets neurotoxiques du MDMA. Inversement, le paracétamol, analgésique très couramment utilisé, augmente le stress oxydatif et est susceptible d'aggraver la symptomatologie du MDMA. Il a été décrit une toxicité importante pour une petite dose de MDMA chez un patient séropositif pour le virus VIH qui prenait aussi du ritonavir (Norvir®).
PRISE EN CHARGE DU PATIENT INTOXIQUÉ PAR DES DÉRIVÉS D'AMPHÉTAMINES (tableau IV)
Il est important de se souvenir qu'il est cliniquement difficile de distinguer une intoxication aiguë par des analogues d'amphétamine d'une intoxication par de la cocaïne.
La prise en charge initiale comporte la mesure des paramètres vitaux (pouls, tension artérielle, température), un examen physique général et, en fonction de la présentation clinique, un avis psychiatrique. Ces patients souvent agités doivent parfois être immobilisés pour être examinés et soignés.
Les examens complémentaires de base comprennent une biologie (glycémie, ions, urée, créatinine, enzymes cardiaques, musculaires et hépatiques, examen hématologique complet avec formule globulaire, coagulation, protéine C activée), un examen microscopique et une culture d'urine. Un électrocardiogramme, une radiographie du thorax sont réalisés systématiquement et un scanner cérébral, si cela est nécessaire.
Une perfusion est placée, du glucosé hypertonique (0,5-1 mg/kg) et 100 mg de thiamine (vitamine B 1) sont injectés.
Une sédation du patient est très importante, et les benzodiazépines constituent un premier choix, en particulier le diazépam (Valium®). Le diazépam est un bon sédatif qui, en diminuant l'agitation du patient, réduira la production de chaleur, source d'hyperthermie. Il s'agit d'un anticonvulsivant de premier choix
qui est efficace contre les délirium secondaires soit à la prise de cocaïne ou d'amphétamine, soit au sevrage en alcool. L'administration intraveineuse lente de 10 mg de diazépam peut être répétée jusqu'à résolution des symptômes et doit parfois s'élever à 100 mg en 30 minutes à 1 heure. L'haldol (Haldol®) et le dropéridol (Déhydro-benzpéridol®, Vésalium®, Droleptan®) sont efficaces en cas de délirium et d'hallucination pour autant qu'il n'y ait pas d'altération des signes vitaux. Attention, dans le cas contraire, ces médicaments peuvent aggraver les signes cardiaques (arythmies, HTA), augmenter la température corporelle.
Tableau IV. Traitement de l'intoxication par les amphétamines
Diazépam 10 mg IVD doses cumulables jusqu'à 100 mg et plus. Efficace sur les manifestations cardiovasculaires
Refroidissement externe Contrôler rapidement l'agitation
Décontamination digestive et élimination Charbon de bois activé en cas d'absorption orale
Contrôler rapidement l'agitation Antagoniste alpha-adrénergique (phentolamine) Vasodilatateur (nifédipine, nitroprussiate, nitro-glycérine)
L'hyperthermie est corrigée par une réduction de l'agitation (diazépam), une réhydratation par des cristalloïdes, et un refroidissement mécanique externe actif (linges humides, vaporisation d'eau sur le corps et ventilateur (efficacité++).
La rhabdomyolyse est une complication grave. L'hydratation doit dans ce cas être accrue afin de maintenir une diurèse horaire de 1-2 mL/kg et les urines alcalinisées. En cas d'hyperkaliémie, de nécrose tubulo-interstitielle aiguë et d'insuffisance rénale aiguë, l'hémodialyse fait partie du traitement à envisager.
BIBLIOGRAPHIE
Chiang WK. Amphetamines. In : Goldfrank, Flomenbaum, Lewin, Weisman, Howland, Hoffman, eds. Toxicologic Emergencies, 6th Edition. Stamford : Editor Appleton & Lange ; 1998. p. 1091-103.
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